25 mars 2011

Intervention "prospective 2040"

Assemblée plénière du 25 mars 2011
Marc Borneck : discours d'introduction

Puisque nous parlons aujourd’hui de prospective, je voudrais en préambule de mon intervention vous parler d’actualité. Cela peut vous paraître bizarre, parler d’actualité alors que nous sommes là pour évoquer l’avenir, mais je veux de cette manière mettre en lumière l’importance de nos choix d’aujourd’hui sur ce que pourrait être notre société de demain.


Vous le savez, un nuage radioactif a atteint l’Europe et donc la France, il nous en rappelle malheureusement d’autres, et nous incite au minimum à la réflexion.
Les précédentes catastrophes nucléaires n’avaient pas franchi nos frontières, et les débats sur la dangerosité de l’électricité nucléaire étaient restés bloqués aux postes frontières.
Aujourd’hui, les échos du débat international sur les dangers de cette énergie s’entendent jusqu’au cœur de la société française.

A la lumière de ces évènements dramatiques qui se passent à l’autre bout de la planète, nous pouvons raisonnablement penser que les choix passés, résultats d’analyses prospectives de l’époque, ne seraient plus les mêmes aujourd’hui si les japonais devaient se reposer les mêmes questions. Tirer les leçons du passé, mais aussi de ce qui se passe ailleurs dans le monde, ne doit pas nous échapper dans notre réflexion franc-comtoise.
Il en va ainsi de l’exercice prospectif que nous devrons avoir sur notre politique énergétique régionale, englobant à la fois la production, l’économie de la ressource, et le problème du réchauffement planétaire. La protection de notre environnement, la stabilité et l’avenir de notre économie franc-comtoise, et l’égalité d’accès aux ressources dépendront de nos choix.
(Je vous signale au passage que la légende sur l’énergie nucléaire pas chère est en train de tomber, EDF venant de réclamer des hausses d’au minimum 5% par an pour arriver à une hausse de 30% sur 5 ans.)

Martine Aubry déclarait mardi dernier sur un plateau télé, « Je crois qu’il faut sortir du nucléaire », « sur une période de 25 ans à trente ans ». Nous notons avec satisfaction cette évolution, marquant avec l’acceptation du débat, une ouverture permettant de mettre fin à ce vieux contentieux avec l’écologie.
Je profite de l’instant pour vous dire que nous avons déposé une motion qui vous sera proposée en fin de séance et avec sagesse, nous n’avons pas souhaité brandir le vieux slogan « sortir du nucléaire ». Car à cette heure, il relève de notre responsabilité d’avoir une réponse collective face au danger et nous serions étonnés que notre collectivité n’ouvre pas la voie du bon sens et ignore les craintes légitimes de nos concitoyens.
Mais revenons à notre débat prospectif.
La prospective de notre région ne peut se concevoir que dans le cadre de la notion de développement durable, et ce développement durable ne peut se concevoir qu’en mettant la vie des francs-comtois au cœur de notre réflexion .Or on ne perçoit pas cela dans ce rapport. Je proposerai d’ailleurs, à l’occasion de nos travaux, comme j’en ai eu l’habitude depuis quelques années, que l’IDH, l’Indice de Développement Humain devienne l’un des indicateurs que la Région s’engagera à suivre afin d’évaluer la pertinence de nos choix.

Nous vivons tous dans ce système économique qui a perdu toute humanité et dont très peu de personnes profitent, alors qu’elles rêvent d’équité, de qualité de vie, de mieux vivre ensemble.
Les richesses se multiplient (+20% de milliardaires qu’en 2009 en France) alors qu’on a de plus en plus de citoyens qui vivent dans la précarité. C’est aujourd’hui le grand déséquilibre de notre société.

Répondre à l’urgence n’est pas véritablement l’objet de nos échanges d’aujourd’hui, et pourtant, nous en conviendrons tous, il y a urgence à repenser notre avenir, et à faire les choix qui aujourd’hui ne peuvent plus être ceux qui nous ont menés à cette insatisfaction générale, dans ce déséquilibre,….
Nous pensons que l’axe principal de notre réflexion doit s’appuyer sur l’aspiration de l’Homme à sans cesse améliorer ses conditions de vie. C’est en vérité ce qu’il a constamment fait depuis qu’il est sur terre, en tenant compte de son instinct grégaire, il a mis en œuvre une intelligence collective, des systèmes relationnels à des autorités diverses, variées et multiples (maitres, religions, écoles etc.)
Dans notre monde contemporain après que les Etats aient été établis, de nouvelles formations sociales ont vu le jour : corporatisme, syndicats, associations … Celles-ci se sont créées tant par impérieuse nécessité que par besoins identitaires (appartenance à une tribu).
Cette évolution se poursuit aujourd’hui, comme le souligne une étude américaine sur les “acteurs de changement de société”, menée auprès de plus de cent mille personnes pendant une quinzaine d’années par une équipe dirigée par le sociologue Paul H. Ray (université du Michigan) et la psychologue Sherry Ruth Anderson (université de Toronto). Cette étude a démontré l’émergence de ce qu’ils appellent les Créatifs Culturels – en opposition abrupte avec la politique menée à Washington -, et qui représentent un quart environ des citoyens américains qui vivraient d’ores et déjà dans un système de valeurs et de comportements complètement nouveaux, ouverts à l’écologie, à la solidarité, aux valeurs féminines et à l’éveil intérieur. Catégoriquement niés par les politiques et par l’ensemble des médias (aux USA comme en Europe), ces “créateurs de nouvelles cultures” constitueraient le départ d’une civilisation post-moderne aussi importante que le fut le modernisme il y a cinq cent ans.
Ainsi 24 % des citoyens américains (parmi les plus créatifs) ne fonctionneraient plus désormais selon le modèle occidental “moderniste” (individualisme, capitalisme et divertissement), mais d’une façon radicalement autre. 35 % en Europe de l’ouest en 2008 mais seulement 17 % des Français.
Ne vous est-il jamais arrivé - quand il est question des valeurs fondamentales auxquelles votre cheminement vous a finalement conduit - de vous sentir nié par le monde alentour ? C’est ce qui se produit, disent Ray et Anderson, quand on passe à un type de culture résolument nouveau : l’ancien système, non seulement ne comprend pas, mais ne voit carrément rien.
Les CC sont des gens qui mettent en application quatre types de valeurs :
implication personnelle dans la société par des engagements solidaires, locaux et globaux, immédiats et à long terme ;
vision féminine des relations et des choses ;
intégration de l’écologie, de l’alimentation bio, des méthodes naturelles de santé ;
importance du développement personnel, de l’introspection, des nouvelles spiritualités.
Psychologiquement, les CC ont un point commun important : ils ne supportent plus d’être divisés, coupés, en contradiction avec eux-mêmes - ce qui caractérise d’ailleurs tout début de nouveau mouvement de société. Leurs mots clés sont : cohérence, congruence, interaction, synergie.
Ces changements sociétaux sont bien le fruit d’une histoire et
il ne faudrait pas, à l’instar de ce qui est écrit par Georges Orwel dans son livre « 1984 », qu’on s’impose une double pensée (au sens de la novlangue), nous faisant oublier notre histoire. Il nous apparaît que le cadre, qui nous est proposé, est fermé, nous vous proposons de l’ouvrir un peu plus pour ne pas rester dans la continuité, pour voir les choses différemment et articuler cette prospective à l’histoire.

D’aucuns se piqueront d’ailleurs probablement lors de ce débat de notre mémoire utopiste. Mais il ne s’agit pas d’y faire allusion, il faut me semble t-il en faire un moteur de l’avenir.
Une prospective qui ne tiendrait pas compte du fait que l’homme doit avoir la position centrale au sein de cette réflexion ne nous paraitrait pas relever d’un exercice préparatoire à notre demain. Autrement dit, si ce travail n’est pas fait pour améliorer notre façon de vivre et surtout celle de nos enfants, nous nous fourvoierons.
Commençons donc cet exercice d’imagination, de prospective pour 2040.
Vous le savez, les écologistes on toujours été des lanceurs d’alerte, mais nous avons aussi des idées. Les écologistes adorent la prospective, c’est l’essence même du principe de développement durable. Penser, imaginer l’avenir, anticiper et identifier les ruptures, faire de l’interventionnisme pour impulser de nouvelles pratiques ou de nouvelles politiques tout cela a marqué l’histoire de la pensée écologiste (Exemples d’il y a 20 ans avérés).

Les écologistes ont toujours imaginé la rupture :
De René Dumont en 74 avec sa mise en garde sur la fragilité de la ressource en eau, la fin de l’énergie pétrole et la pénurie des matières premières. A ceux que vous côtoyez depuis quelques années qui, vous le savez, imaginent la rupture sur le développement de lignes à grande vitesse, en tout cas sur cette technologie actuelle.

En matière de rupture, la notion même de croissance doit nous interroger.
Est-ce que notre avenir ne peut être vu que par le prisme de la croissance. La croissance laisse toujours des hommes au bord de la route. L’avènement de l’informatique a éliminé des milliers d’emplois.
Nous devrons d’ailleurs distinguer la croissance du progrès : la croissance économique quand elle accentue les inégalités sociales ou porte atteinte à l’environnement n’est plus admissible, ce n’est pas du progrès.

J’en veux pour preuve ce qui vient d’arriver pour la première fois dans l’histoire de l’humanité : un groupe humain, les Américains pour être précis, a vu son espérance de vie diminuer (d’environ un mois) alors que l’homme a toujours vu cette espérance de vie augmenter.

Un autre événement va d’ailleurs aussi bouleverser notre futur, il a fait fantasmer tous nos auteurs de science fiction mais aujourd’hui il est là. Je veux parler du premier robot humanoïde Robonaut 2 embarqué dans le dernier vol Discovery le 24 février dernier, celui-ci sera capable d’action autonome. Et laisse bien entendu penser à une future révolution technologique.
Ainsi il en va probablement de même pour ce qui sera peut être l’industrie de la mobilité. Peut on imaginer une production automobile, même électrique, exponentielle qui amènerait à une consommation encore plus importante de foncier (routes, parkings garages privés) au détriment d’une agriculture qui doit nous nourrir.

Je ne veux pas me faire plus long, mais nous devons bien entendu imaginer dès à présent quelles seront des politiques que nous initions aujourd’hui comme la formation tout au long de la vie, et là, nous avons bien cette centralité humaine, tout comme d’ailleurs le cadencement, dont nos deux vice présidents auront surement une vision prospective à nous faire partager.

Enfin, il me semble utile d’intégrer dans nos réflexions une réalité que l’on oublie bien souvent, je veux parler du travail.
En effet depuis maintenant de nombreuses années, le volume total des heures travaillées dans les industries de production ne cesse de diminuer alors que les augmentations de volume se font sur les services.

Nous ne souhaitons pas dans cet exercice nous limiter en nous autocensurant mais peut être utiliser la méthode plus intuitive décrite par Hugues de Jouvenel qui recherche les faits porteurs d’avenir.

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