21 octobre 2011

Canal de l'absurde ! Intervention d'Eric Durand

Assemblée plénière du 21 Octobre 2011
Rapport : orientations budgétaires 2012


Il y a des lignes d’écritures qui pèsent plus que d’autres, en littérature comme dans les rapports soumis au vote de notre assemblée.
Dans ce rapport, il y a un paragraphe qui au regard de l’ensemble des OB semble bien modeste, voire dérisoire. Pourtant il pourrait engager nos collectivités vers des décennies de complications financières, économiques, environnementales et politiques.

En effet au détour des dix lignes de ce chapitre, il vous est proposé de ressortir le projet de grand canal de sa chambre mortuaire, où il reposait depuis 1997.
Dans leur grande sagesse, les élus socialistes de l’époque fraichement élus, poussés par les écologistes et sous l’action de Dominique Voynet Ministre de l’environnement, décidèrent d’enterrer ce projet dément et de sauver ainsi la vallée du Doubs.
S’il est court, le texte des OB est néanmoins explicite sur ce projet, puisqu’il est proposé de financer des études permettant d’organiser le débat public en vue de la construction de cette infrastructure qu’est le canal à grand gabarit Saône-Moselle-Saône-Rhin. Le document soumis aux institutions par VNF, présentant cette démarche mais non fourni aux élus dans ces OB, précise le calendrier des opérations, de la phase d’étude et de concertation préalable au débat public qui s’ouvre cette année, à la mise en service de cette liaison en 2025-2030.

Il me semble qu’à ce stade il convient de préciser un peu les choses étant donné le caractère sibyllin du texte des OB.
De quoi parle - t’on ? Un canal à gabarit, c’est quoi ?
Il s’agit de relier, dans le cas soumis au débat public, Saint jean-de-losne, d’une part à Veuves-Maisons en Meurthe et Moselle pour une connexion entre la Saône et la Moselle et d’autre part à Mulhouse pour la liaison Saône-Rhin. Les deux liaisons étant prévues pour chacune d’entre elles, pour grande partie du moins, en zone extra fluviale, c’est à dire n’empruntant que très peu les cours d’eaux actuels.
Le grand gabarit prévu est un canal pouvant accueillir des convois poussés de 4400 tonnes, d’une longueur de 185 m de long et d’une largeur de 11,40 m, c'est-à-dire la plus grande catégorie des voies d’eau nécessitant un tirant d’eau de 2,80 m et une hauteur sous pont de 7 mètres (pour passer avec des barges entassant des containers sur 3 étages). Cela signifie une emprise de 70 à 100 m de large et une profondeur d’au moins 5 m.

Je précise ces informations car je ne pense pas que les élus aussi passionnés soient-ils par le mythe du pseudo désenclavement, imaginent ce que peut être ce type d’infrastructures dans une région comme la nôtre. Une région où les cours d’eau sont nombreux mais modestes et dont le débit ne peut en aucun cas alimenter deux voies d’eau nouvelles. Une région faite de montagnes, de vallées et de plateaux qu’il faudrait franchir et aménager à coup d’écluses atteignant la taille d’immeuble de plusieurs étages. Les politiques que nous sommes, avons des responsabilités qui doivent aller au-delà de la réponse à des lobbies qui demandent d’ailleurs simultanément aux collectivités et à l’Etat plus d’infrastructures et moins d’impôts et de charges.
Pour vous convaincre je ne saurais s’il vaut mieux évoquer la catastrophe écologique ou financière de ce projet. Comme souvent d’ailleurs intimement liées.
Je ne m’étendrai donc pas techniquement sur les aspects écologiques de ce projet qui engendrerait un déséquilibre profond de nos systèmes hydrologiques alors que nous observons déjà comme cette année, des phénomènes de pénuries d’eau printaniers entrainant des arrêtés sécheresses de la préfecture. L’eau, si elle se recycle, si elle nous revient sous forme de pluie, n’est pas une ressource illimitée sur terre, et ce que vous prendrez pour déverser dans ces deux voies d’eau manquera aux rivières et aux nappes auxquelles vous l’emprunterez. Le Rhin lui –même a déjà atteint des niveaux d’eau si bas que des activités fluviales et industrielles ont été limitées.
En 2009 et en 2011, les armateurs du Rhin ont dû réduire jusqu’à 75% leur chargement sur les bateaux pour cause de manque d’eau, avec pour conséquence une augmentation du nombre de bateaux, puis un engorgement des écluses, et au final un report modal de 25% du transport de marchandises sur le ferroviaire et la route.
Je ne vous parlerai pas de l’industrie nucléaire qui l’été tourne désormais au ralenti par manque de débit d’eau pour son refroidissement.
Les cours d’eau asséchés, les nappes alluviales taries, de nombreuses zones humides en péril. Que restera t’il de la trame verte et bleue, initiée par le grenelle de l’environnement et politique emblématique de la région en matière de milieux naturels ? On pourrait évoquer l’emprise exceptionnelle de cette infrastructure, et la disparition, encore une fois, d’hectares de terres agricoles, perdues à jamais.

Madame Branget déclare dans un article de presse relatif à un accord gouvernemental qui place le canal Saône-Rhin, sur le même pied d’égalité que celui Saône-Moselle, je la site « il n’est pas exclue qu’il passe par la vallée du Doubs », de tels propos me font vraiment craindre l’inconséquence d’une certaine classe politique. Comment peut-on, pour répondre à un mirage, tirer un trait sur la rivière qui irrigue à tous les sens du terme notre région et sur la vallée?

Mais sans doute l’argument économique sera t’il plus percutant à vos yeux.

Prenez bien conscience que les faisceaux de tracés actuels (sauf celui de Madame Branget) ne passent absolument pas dans des zones fortement industrialisées et ne les desserviront pas. Ce qui pose déjà une première question sur la rentabilité et l’utilité de ce projet
Pour illustrer mon propos je me permets de citer, l’étude réalisée sur ce projet, par les promoteurs du projet à savoir l’Etude préliminaire socio-économique multimodale sur l’axe Marseille-ports de la Mer du Nord et de l’Europe de l’Est - rapport final 2005, qui est riche d’enseignement bien que ne pouvant pas être soupçonnée dans ses intentions de chercher à nuire projet puisque commandité par VNF à 2 bureaux d’études :

Je cite donc le paragraphe 2.2.2 intitulé:
« La liaison évite de grandes régions industrielles
Qui précise textuellement :
« Une autre faiblesse importante est son débouché sur le Rhin à Coblence, trop en aval pour pouvoir capter les trafics des riches régions plus en amont sur le Rhin (Bâle-Mulhouse notamment). Elle évite également les industries (automobile en particulier) de la Franche-Comté. »
Sans compter que la connexion de ce très grand gabarit au reste du réseau pour les gros porteurs de conteneurs sera également limitée à Lyon puisque je cite encore ce même rapport :
« Il restera un obstacle dont on ne voit pas comment le surmonter : le tirant d’air de certains ponts, notamment des ponts historiques de Lyon »
J’imagine alors que l’on espère trouver une solution technique pour faire survoler le rang de containers en trop au dessus des ponts de cette ville classée patrimoine mondiale par l’UNESCO.

Autre faiblesse pointée dans le rapport qui concerne le risque de désindustrialisation

« Le scénario de délocalisation de pans de l’industrie européenne aurait pour conséquence la disparition de trafics de vracs qui constituent toujours aujourd’hui le fonds de commerce de la voie d’eau en France. On voit bien les conséquences de la fermeture annoncée des hauts fourneaux lorrains qui entraînera la suppression d’un très important trafic fluvial de minerai et affectera celui du charbon ».

Un grand canal donc pouvant transporter de grosses quantités de matières ou de containers, mais ne desservant pas notre industrie, ne favorisant ni l’importation ni l’exportation régionale de flux.
Les franc-comtois payeurs, regarderont passer les bateaux après avoir regardé passer les TGV.

Cette étude évoque trois scenarii économiques influant sur la viabilité de la réalisation de ce grand canal.

Un premier Scénario dit « au fil de l’eau », sans changements majeurs sur la plan socio économiques.
Il conclut en gros que la réalisation de cette voie devra résulter d’une forte volonté politique et ne correspondra pas franchement aux attentes des différents acteurs car elle ne répond pas à leurs besoins.

Un second Scénario dit « scénario gris »
Ce scénario gris est pessimiste selon les termes de l’étude, je cite
«les craintes de dérèglement financier international ou de conflit politique se réalisent, la croissance économique est mauvaise, donc la demande de transport est plus faible que dans le scénario tendanciel. Simultanément, et de façon relativement cohérente, les pouvoirs publics ne sont pas fortement poussés à construire des capacités nouvelles, ni à mener une action vigoureuse pour infléchir une croissance des flux qui n’est pas très forte et ne pose donc pas les problèmes graves que l’on aurait pu redouter. »
Il est frappant d’observer que ce scénario écrit en 2005, est particulièrement intéressant du point de vue prospectif puisqu’il semble étrangement ressembler à la situation que nous vivons actuellement.
Ses conclusions sont sans nuance « la liaison fluviale Saône-Moselle a peu de chances de se réaliser et, s’il advenait qu’elle le soit, elle aurait peu de succès commercial, une rentabilité financière peu attractive pour un exploitant privé et s’avèrerait en outre, probablement, d’une médiocre rentabilité socio-économique. »

Est-il nécessaire d’ajouter un commentaire ?

Enfin il y a le scénario dit « Scénario bleu »
Scénario optimiste qui cumule les hypothèses de croissance et d’augmentation des flux des transports, et une volonté forte des politiques européennes. Et dans ce cas la pertinence économique de la liaison serait démontrée.
Il s’agit bien d’un scenario bleu, tout va bien aller, l’économie va reprendre, les politiques européennes vont mettre le paquet sur les transports, tout le monde s’entendra bien.
C’est le genre de scénario que personne n’oserait écrire aujourd’hui au risque de passer pour un irresponsable, ou un incompétent.

Finalement, on constate que même les arguments de rentabilité économiques ne sont pas au rendez-vous. Et même si c’était le cas il serait inconcevable de sacrifier notre ressource en eau, nos rivières nos paysages notre biodiversité, notre agriculture.

Ce projet est tout simplement un fantasme du passé. Il avoisine les 20 milliard d’euros, il est mauvais pour nous tous. Il va assécher nos finances comme nos rivières, et nous ne devons en aucun cas commencer à le financer.

Et cette étude, c’est le dernier vatout de ceux qui n’ont pas encore pas complètement abandonné cette idée démente. En effet comment comprendre sinon, que l’on veuille encore ajouter une étude aux études ? Est-ce la dernière tentative pour en changer les conclusions mitigées ?

En conclusion :
Ces Orientation Budgétaires n’étant pas soumises au vote, mais seulement soumises au débat, nous demandons que le conseil régional n’intègre pas dans son Budget primitif tout financement ni références à ce projet de canal à grand gabarit contrairement à ce qui est proposé ici. Vous vous en doutez, Nous aurions souhaité bien évidemment qu’il ne figurât même pas dans ces orientations budgétaires.

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