01 avril 2011

Eric Durand : prospective 2040 et ressources

Intervention AP du 25 mars 2011

Par essence, faire de la prospective, c’est se lancer dans le vide,c’est anticiper, c’est prévoir le non-prévisible. Face à cela, soit on renonce et on attend de voir le scénario au fil de l’eau, soit on part de tous les possibles envisageables et on repense notre stratégie en fonction de cela.

Le préalable de l’étude nous demande de nous prononcer sur un avenir à 30 ans, sans ouvrir complètement cependant sur des possibles que l’on peut déjà envisager ou dont on peut pourtant évaluer l’occurrence. Les rapporteurs évoquent l’expression des défis globaux, comme le changement climatique global et la crise énergétique, comme un prêt-à-porter prospectif, qualifié même d’« alarmiste à vocation mobilisatrice » dans le rapport. Ce genre de jugement de valeur sonne un peu faux aujourd’hui ; l’adjectif « alarmiste » semble moins à la mode pour caractériser cette vision d’avenir. Il faut donc être attentif à ce genre de manchette.

Je vais compléter le propos de mes collègues en intervenant sur la problématique des ressources dont la disponibilité, le coût, la qualité ne peuvent être évacués d’un débat sur une prospective à 40 ans de l’activité de notre région. C’est même certainement ce qui va donner la direction des événements dans les années à venir.

Je vais aborder le changement climatique, admis par la communauté scientifique, mis à part quelques révisionnistes isolés. En revanche, ce que l’on ne sait pas, ce sont les conséquences possibles de ces changements climatiques sur notre quotidien. On peut cependant s’appuyer sur quelques travaux, eux aussi prospectifs, qui s’appuient sur des éléments à caractère scientifique. Je veux parler du rapport du CESER, intitulé « Le climat change, la Franche-Comté s’adapte », paru en juin 2010 qui s’appuie sur des études de Météo-France.
Dans ce rapport, on apprend, entre autres, qu’en 2030, Besançon aura un climat analogue à celui de Lyon aujourd’hui ; en 2050, il sera proche de celui de Florence et, en 2080, il sera équivalent au climat du nord de la Grèce, proche de l’Albanie.

Ne pensez-vous pas que les modes de vie, de travail, de déplacements, les ressources naturelles, la forêt, l’alimentation de Lyon ou de la Toscane ne se transposeront pas à Besançon, sans un effort conséquent d’adaptation ? Ne serait-ce pas cet effort qu’il conviendrait d’imaginer pour que notre collectivité puisse l’accompagner et en limiter les douleurs ?

On ne passera pas en 30 ou 40 ans d’un tourisme d’hiver à un vrai tourisme de 4 saisons sans anticipation ; on n’adaptera pas nos cépages de vigne à ce nouveau climat en quelques années ; on ne fera pas évoluer nos forêts, avec la disparition de nos épicéas en dessous de 700 mètres, en quelques années non plus, pas plus que l’on ne modifiera nos pratiques d’élevage et de culture en quelques années, ni toutes nos AOC qui les caractérisent maintenant, dont les cahiers des charges ne pourront plus être appliqués dans quelques années.

On pourrait évoquer également l’habitat, la santé, la prise en charge des personnes âgées. L’épisode douloureux de la canicule de 2003 nous a montré combien notre société était mal préparée à ce genre d’aléa climatique, notamment pour protéger les plus fragiles.

De manière transversale, un autre phénomène largement admis, et même déjà constaté dans le rapport du CESER, devra nous occuper et même nous préoccuper : il s’agit de la ressource en eau.
Cela a déjà été évoqué précédemment. Nous le constatons, les précipitations nous jouent des jours : insuffisantes au printemps et en été, elles peuvent être interminables à l’automne. Les périodes et durées des précipitations évoluent et modifient en profondeur l’écologie de nos paysages, nos systèmes agraires et le renouvellement de nos ressources. Ces pénuries ont déjà des conséquences importantes sur notre système économique et notre quotidien :

- déficit de fourrage,
- tourisme affecté par le manque de neige l’hiver et d’eau l’été pour la pratique du sport nautique et de la pêche, par exemple,
- conflit d’usage de l’eau potable, …
Je ne vais pas détailler ici toutes les conséquences des déficits.

Difficile dans ces conditions d’imaginer notre région dans 30 ans. Je ne parle que d’économie, pas d’environnement.
Difficile aussi de faire de la prospective, sans considérer ce que sera la situation énergétique en 2040. Dans 30 ans, selon tous les experts, même ceux des compagnies pétrolières, nous aurons dépassé le « Peak Oil ». Je ne m’aventurerai pas sur le prix du baril de pétrole en 2040, indépendant, je suis certain, des soubresauts du colonel Kadhafi, mais il sera assurément devenu une ressource rare et chère.

S’agissant du nucléaire, qui aurait eu la même idée de son avenir et du débat qu’il occasionne aujourd’hui voici encore 20 jours ? Alors, dans 30 ans, la question reste complètement ouverte.

Il nous faut là encore nous projeter dans une société qui sera économe en énergie, qui aura engagé une révolution en termes d’économie et de production d’énergies renouvelables et qui fonctionne à l’économie sobre mais pérenne.

La politique des transports sera abordée de façon tout à fait différente dans ces années-là, nous pouvons en être certains.

Cependant, l’étude qui nous est proposée nous enjoint de ne pas nous étendre sur le sujet. C’est pourtant « l’Enjeu », avec un E majuscule, et c’est la façon dont les territoires y répondront, dont nous y répondrons qui fera qu’ils tiendront une place d’avenir dans le monde.

Autre ressource dont l’économie n’est pas esquissée dans l’extrait du projet de rapport qui nous est soumis : je veux parler de l’économie d’espace – je pense que des collègues y reviendront –, l’espace naturel, l’espace agricole, menacé en zones périurbaines mais aussi en milieu rural, où lotissements et zones commerciales grignotent irrémédiablement les terres productives sans aucun souci d’économie. Les Suisses font certains efforts, leurs supermarchés sont à étages. Chez nous, on ne sait pas faire. Je me suis toujours demandé pourquoi !
Le rapport ne semble pas s’occuper du devenir de ces zones et de leurs conséquences. Or, la disparation de terres agricoles pose un véritable problème pour la pérennité de l’agriculture et, par conséquent, à terme, pour notre alimentation.

L’AudaB, l’agence d’urbanisme de Besançon, a rendu publique il n’y a pas longtemps une étude sur la disparition inquiétante des terres agricoles dans le bassin bisontin.
Or, les auteurs du rapport qui nous est soumis ici nous font remarquer l’inexorabilité de l’accroissement des agglomérations, voire le déplacement de leur coeur vers les deux nouvelles gares. On nous dit même que nous, élus, ne devons pas avoir peur à terme de – je cite – « leur capacité anthropophage à manger les centres-villes actuels ». De notre point de vue, il nous semble non seulement que nous devrions en avoir peur mais également que nous devrions lutter contre ce phénomène qui ne peut être subi. L’urbanisme et l’activité économique doivent être envisagés dans un esprit de reconstruction de la ville sur elle-même, de densification urbaine et non pas d’extension à l’infini de nos zones urbaines, nécessitant de surcroît par la suite des moyens de transport importants et des coûts d’infrastructures exorbitants pour nos collectivités.

Pour conclure, je dirais que nous ne pouvons faire de la prospective avec les yeux de ceux qui ont vécu dans l’abondance. Les enfants gâtés sont ceux qui ont le moins d’imagination. Ils jouent avec leurs beaux jouets, un prêt-à-penser, dirais-je, pour plagier la formule évoquée au début. Les enfants moins gâtés, eux, explorent des trésors d’imagination !

Nous devons envisager l’avenir de manière sobre, un nouveau paradigme de développement de l’humanité ne reposant plus sur l’abondance de nos ressources ici en Franche-Comté, comme l’eau, l’énergie, le produit de nos cultures, de nos forêts, de notre espace. C’est là pour nous la bonne voie pour entamer la réflexion de prospective passionnante, responsable et attendue de nos concitoyens.

Je terminerai en qualité d’élu homme qui se respecte, en précisant qu’il m’apparaît tout à fait choquant que le groupe d’experts chargés de cette réflexion prospective à 40 ans, si illustres soient-ils, ne soit composé que d’hommes. N’y a-t-il pas un devoir à ce que des femmes travaillent aussi sur notre avenir à 40 ans ? Il est certain que leur absence dans les réflexions de planification et de prospective du passé nous fait cruellement défaut aujourd’hui. Cette étude mériterait de remettre l’homme au coeur de nos préoccupations sur l’avenir, mais l’homme au sens large, c’est-à-dire sans oublier la moitié de l’humanité ; je veux parler de la femme.

Je vous remercie.
(Applaudissements.)

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