25 mai 2011

Transports régionaux : attention, risque de déraillement

Tribune du Monde le 24 mai 2011, des élus transports "Europe Ecologie"
L'Etat a annoncé clairement sa priorité pour le système ferroviaire national : cadencer l'ensemble du réseau pour 2012. Pour l'usager des transports en commun, le terme peut sembler barbare. Il est donc sans doute utile de rappeler que par "horaire cadencé", on entend que les trains circulent avec un intervalle de temps régulier sur un parcours donné, par exemple, les trains partent de A pour B à 6:32, 7:32, 8:32, 9:32… Le cadencement généralisé suppose donc une révolution du système ferroviaire français. Depuis plusieurs mois, ce dossier est au centre de l'attention du ministère des transports, de réseau ferré de France, de la SNCF et des conseils régionaux.



Favorables sur le principe, nous, écologistes, mettons le gouvernement en garde face à une réforme du système qui reposera sur les régions, principales contributrices de ce renouveau du ferroviaire: imposer le cadencement national, sans concertation, occasionnera assurément une dégradation de la qualité de service pendant des mois, ainsi qu'une augmentation des dépenses de fonctionnement.
Le cadencement comporte de nombreux avantages qui plaident pour sa généralisation : l'usager bénéficie, à terme, d'une fréquence renforcée, d'une régularité accrue, d'une amélioration des correspondances, d'une meilleure lisibilité des horaires… Les opérateurs y voient également leur intérêt. En effet, la capacité des lignes est optimisée, tandis que la production est fiabilisée et simplifiée. Enfin, pour l'Autorité organisatrice des transports (les régions et le syndicats des transports d'Ile-de-France), l'amélioration du service se traduit par des recettes supplémentaires qui alimentent le cercle vertueux de l'investissement dans les transports en commun. L'exemple suisse témoigne d'ailleurs de la réussite d'un cadencement généralisé mis en place de façon très progressive.

Par conséquent, pourquoi s'inquiéter ? La Suisse a su mettre en œuvre un plan rail sur plusieurs années afin de rénover et moderniser son infrastructure ferroviaire pour réussir son cadencement national. Ce n'est pas le cas en France. La plupart des spécialistes du dossier, à RFF comme à la SNCF, reconnaissent que tout n'est pas prêt, ils anticipent même des perturbations importantes au moment de la mise en route du nouveau système.

D'autre part, le trafic n'est pas le même partout en France : les problématiques de la région Bourgogne ne sont pas celles de l'Ile-de-France, de la région Rhône-Alpes ou encore de la région Bretagne. Dans certaines, le cadencement est déjà mis en place avec succès, ou est prêt à l'être. Dans d'autres, c'est trop tôt. Celles-ci, mal préparées à ce changement, subiront de plein fouet les conséquences désastreuses d'un cadencement à marche forcée, décidé unilatéralement par l'Etat au détriment des usagers. Les autorités organisatrices de transports, en fonction des enjeux locaux, sont les mieux placées pour déterminer si l'heure du cadencement est venue... ou pas.

Le passage au cadencement, s'il est précipité et mené sans concertation, ne se fera pas sans douleur pour l'usager. L'introduction d'horaires nouveaux réduira la desserte dans certaines gares. Le temps d'attente entre des trains de lignes déjà saturées (comme les RER d'Ile-de-France) risque de s'allonger. L'expérience de la région Rhône-Alpes, partagée en partie en Ile-de-France, montre que le cadencement sur l'ensemble du réseau TER conduit souvent dans un premier temps à la suppression de trains, à des retards, voire à des pertes d'emplois. La prudence est donc de mise. Les français auront compris l'impact sur leur quotidien de l'organisation du cadencement: des trains plus ou moins ponctuels, plus ou moins chargés, un service de plus ou moins bonne qualité.

Par ailleurs, le cadencement national imposé par l'Etat témoigne une fois de plus du recul de la décentralisation. Le cadencement dépossède les autorités organisatrices régionales de transport de leurs prérogatives concernant les commandes de sillon ; sans compter que les régions attendent toujours des ressources financières nouvelles indispensables au transfert de compétence en matière de transports.

Que l'on ne se méprenne pas : nous l'avons dit, nous le répétons, nous sommes favorables à la mise en place d'un cadencement généralisé du système ferroviaire français. Nous dénonçons en revanche la méthode brutale employée aujourd'hui par le gouvernement qui, de surcroît, enverra la facture aux régions.

Les écologistes souhaitent la mise en place d'un cadencement organisé région par région, et avec les régions dans leur ensemble. Cette réforme est nécessaire, mais si elle est imposée aujourd'hui, nul ne peut dire quels seront les impacts locaux sur le système. Ainsi, il est primordial que le principe de subsidiarité soit respecté et que la prudence et le pragmatisme priment. Préalablement au passage au cadencement, un travail long et indispensable doit être mené afin de répondre prioritairement au besoin d'investissement et au devoir de qualité de service.

A la précipitation, préférons donc le pas à pas, pour une véritable politique des transports nationale associant tous les acteurs concernés. Le cadencement en 2012 n'a de sens que là où il est préparé, accepté et attendu. Ailleurs donnons-nous le temps de continuer à travailler afin qu'il soit une vraie réussite dans l'intérêt de tous et toutes.

Un cadencement réussi sur une ligne dépend du carré magique suivant : une ligne performante, des gares correctement aménagées, un personnel cheminot disponible et un matériel de qualité, avec une bonne maintenance.

Quand début 2012, l'exaspération inévitable des usagers, comme des salariés de la SNCF, éclatera immanquablement, il faudra que chacun assume. Nous prenons date : nous aurons prévenu.

Françoise Coutant, vice-présidente du Conseil Régional de Poitou-Charentes, présidente de la commission Transports propres et innovants, Intermodalité, Équipements, Infrastructures.
Alain Fousseret, vice-président du Conseil Régional de Franche-Comté, chargé des transports et de la multi-modalité.
Jean Yves Petit, vice-président du Conseil Régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur, délégué aux transports et à l'éco-mobilité.
Jean-Vincent Placé, vice-président du Conseil Régional d'Île-de-France, chargé des transports et des mobilités.
Pierre Serne, conseiller Régional Île-de-France et administrateur du Stif

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